Consigne : Écrire le monologue du gardien
Les monologues du gardien
8ème minute
Un bleu tombe dans ma surface de réparation… Me voilà déjà promis à être exécuté par pénalty ? Encore une minute, monsieur le bourreau ! Ouf, l’arbitre ne siffle pas - ça ne sera pas pour cette fois.
10ème minute
Tête à tête avec Griezmann. Toutes les jolies filles de France en rêvent, mais pour moi c’est un cauchemar. Je ne pensais pas le croiser de sitôt, leur Grizou. Plus de peur que de mal, mais je sais déjà que je ne transpire pas qu’à cause de la chaleur de l’été russe.
11ème minute
Tir de Pogba, avec un rebond des plus vicieux… Décidément, ces bleus ne me laissent guère le temps de rêvasser. Ils pourraient respecter un peu plus ma nature de contemplatif qui, depuis le plus jeune âge, m’a poussé à occuper le poste de gardien.
14ème minute
Encore un bleu allongé dans la surface ! Ça n’est pas passé loin du pénalty, une nouvelle fois. Le pénalty, ma hantise absolue, je l’avoue. Peut-être parce que ça me laisse trop le temps de me voir mis à mort…
Sur un but classique, le gardien n’a souvent guère le temps de la voir partir, de se voir partir… Mais un pénalty le condamne à une attente suffisamment longue pour sentir ses intestins se nouer. Comptez une bonne minute durant laquelle vos équipiers contestent vainement la décision de l’arbitre. Puis encore un temps infiniment long à attendre que la surface de réparation se vide peu à peu. Vous vous retrouvez ensuite seul face au tireur, entre deux poteaux d’exécution, mis en joue, feu…
34ème minute
Ça y est, j’ai encaissé le premier… Je dois me préparer à en prendre combien d’autres encore ? En même temps, avouons-le : le gardien qui a concédé un premier but est paradoxalement plus détendu tout le reste du match. Je m’explique. Censé protéger ses filets, il s’accroche naïvement à l’idée qu’ils ne trembleront jamais durant tout le match, tel un père veillant sur ses enfants. Mais dès lors qu’il a encaissé le premier but, tout change. Le père – gardien n’est plus ce héros pour ses filets de fils et il lui est dès lors beaucoup plus aisé de décevoir ses ouailles une deuxième fois, une troisième fois, une quatrième fois... Bon, pas quatre fois quand même, dans mon cas, parce qu’à 4-0, je m’exposerais clairement à une blague pseudo-lacanienne (Pérou / Père où ?)
2ème mi-temps
C’est beaucoup plus calme pour moi, les amis. Tandis que mes coéquipiers tentent d’égaliser à l’autre bout du terrain, j’ai enfin un peu de temps pour rêvasser. Au même titre que les agents de sécurité dans les supermarchés, les gardiens de but comptent parmi les professions les plus portées à la rêverie solitaire. Qui sait, peut-être Jean-Jacques Rousseau se serait-il plu à défendre les cages de la sélection suisse s’il avait vécu à notre époque ?
81ème minute
Tiens, revoilà des hommes bleus dans mon périmètre. Le tir adverse n’est pas passé loin mais m’extirpe subitement de mon état de contemplation extatique.
84ème minute
Mon équipe domine, domine, domine, et me voilà réduit au rôle de spectateur passif des tentatives infructueuses de mes co-équipiers. C’est la dimension frustrante du job. Ton équipe prend le lead sur le match, espère marquer, concrétiser sa domination, mais toi, tu ne peux absolument rien faire.
Enfin, théoriquement, si : dans certaines circonstances exceptionnelles, quand il n’y a plus le choix, à la dernière minute, sur un coup de pied arrêté, l’oiseau a parfois le droit de sortir de sa cage pour se transformer en 12ème buteur potentiel. J’ai toujours rêvé d’en mettre un comme ça. L’occasion de traverser le terrain en kamikaze se présentera-t-elle ? Mon équipe s’apprête à essuyer une deuxième défaite en deux matches synonyme d’élimination, donc qui sait si dans quelques minutes je ne me lancerai pas à l’assaut des cages adverses…
94ème minute
Voilà, c’est fini. Défaite 1-0. Malgré un coup de pied arrêté pour mon équipe pendant les arrêts de jeu, je ne me suis guère senti les ailes de quitter ma cage… Pour le quart-d’heure warholien de célébrité, on repassera.
Julien
Consigne : Écrire un reportage sur l’atelier d’écriture.
Reportage
Ils étaient arrivés par ordre dispersé. Certains par la Sorbonne, d'autres par l'Odéon. J'avais pour moi choisi de passer par la Seine, le long de Notre-Dame. Par grappes, ils sont entrés dans ces locaux tout blancs. Au même instant les Bleus entraient sur le terrain, à Ekaterinbourg.
Ici l'équipe est chamarrée, il n'y a pas d'uniforme. Mais est-ce bien une équipe ? L'entraîneur fait l'arbitre. C'est Ollivier Pourriol. Il nous l'a promis : « On ne peut pas perdre ». C'est rassurant. Il y a des enfants et un peu plus d'hommes que de femmes. Chacun est concentré.
Au coup de sifflet tout le monde a sorti son stylo avec un grand défi : commenter France-Pérou. Les gens venus d'Inter, à ce que j'ai compris, ont une tactique, encore secrète. Pour mieux brouiller les pistes ils ont conviés leur propre arbitre. Sur l'écran de télé, le ballon blanc circule de pied en pied, avec ses accélérations si caractéristiques mais dans la salle de « Les Mots », c'est le micro de France Inter, tendu par madame Ilana, qui passe près des bouches. Elle essaie de capter l'essence du moment.
À une demi-heure de jeu, une action a eu lieu, mais je ne l'ai pas vue. La tension est à son comble.
Soudain un cri survient de l’extérieur, au bout de la rue Dante ; ça vient d'un bar. Pourtant sur l'écran, rien ne se passe. Nous restons perplexes. Cinq minutes plus tard, la France marque.
C'était donc ça. La retransmission sur internet est un peu décalée...
Le jeu est donc ouvert. Les stratégies choisies.
Comme un autre ballon, un cadavre exquis circule entre les joueurs. Forme courte, chanson ou haïku, description passionnée des coiffures des joueurs, ode au ballon, exercices de style... tous les participants ont leur technique de jeu. Ça griffonne sévère sur les feuillets noircis. Certains écrivent à toute vitesse. Ils dribblent entre les mots, taclent les adjectifs, jonglent avec les phrases. Faut-il jouer perso ou bien coopérer ? Sur leurs fronts la sueur commence à perler.
Ça y est, c'est la mi-temps. Vous posez vos stylos ! Le commentaire sportif devrait être inscrit à l'épreuve du bac.
Laurent
Consigne : Écrire la complainte du ballon
Le ballon triste
De pied en pied, le plus souvent
Parfois par la tête, plus rarement par la main
On me projette violemment
Sans tendresse,
Et je connais d'affreuses accélérations.
Leurs semelles pleines de crampons
Blessent mon cuir mélancolique.
Je m'envole d'un coup au-dessus du terrain
Échappant pour un temps,
À leur furie
Et j'entends les cris du public,
Antipathique.
Je ne sais rien de mon destin,
Et j'ignore ma trajectoire.
Pour moi se valent tous les sens
Et je n'ai pas de préférence.
Ma jouissance est de m’alanguir
Au fond d’une cage en résille,
Quand résonnent à nouveau les cris
Je me sens enfin libre.
Laurent
Consigne : écrire une lettre à un ami qui a bien tourné
Mon ami,
Je suis au bout du rouleau, complètement crevé. Une fois de plus, je m’en suis pris plein la gueule. Ils prétendaient que j’allais m’habituer mais en réalité, ça ne fait qu’empirer. Jour après jour, match après match, mon calvaire se répète. Les « joueurs », qui sont vraiment bien les seuls à jouer et s’amuser, semblent n’avoir qu’une obsession : me faire tourner en bourrique et me rendre maboule. Leurs chaussures aux motifs psychédéliques hantent mes nuits. Oh que je regrette les caresses et les terrains de mon enfance !
J’ai un temps cru distinguer en la personne du (libre) arbitre un solide allié mais, là encore, je me suis trompé. Certes, il ne partage pas la passion de mes assaillants et refuse de se défouler sur moi, mais le moindre de ses coups de sifflet résonne invariablement à leurs oreilles comme l’ordre de m’achever. Mes bourreaux me positionnent alors de façon à optimiser leur frappe et donc ma souffrance. Ils prennent même un plaisir pervers à laisser s’écouler quelques secondes avant d’exécuter ma sentence. La dernière fois, j’ai fini couvert de bleus et de rougeurs lors d’un triste France-Pérou. J’avais la tête ailleurs toute la rencontre et, complètement groggy après un immense coup de botte, je me suis pris à espérer m’envoler pour ne plus jamais redescendre. C’est à ce moment que j’ai réalisé que mon choix était fait. Moi qui ne jurais que par les plus belles pelouses et les plus grandes enceintes, j’ai fini par déchanter. Je me suis dégonflé. J’ai démissionné.
Après avoir subi tant d’horribles agressions tout au long de ma carrière, j’ai décidé de me tirer pour mieux rebondir. Plus jamais je ne laisserai quiconque me dicter ma voie, m’imposer une trajectoire, me marcher dessus ou me posséder.
Ballon frappé, ballon taclé, ballon martyrisé mais ballon libéré !
Je t’envie tu sais ? Depuis le début, tu as su faire les bons choix, t’extraire de ta condition terrestre et t’élever. Tu as bien roulé ta bosse depuis toutes ces années. Je te parlais de gazon, tu guettais déjà les horizons ; j’évoquais le rectangle vert, tu voulais atteindre la stratosphère… Quelle vie tu mènes !
J’ai besoin de m’aérer l’esprit et de me changer les idées. Si ton invitation tient toujours, j’aimerais beaucoup t’accompagner lors d’un de tes fameux voyages… en ballon.
Au plaisir de te lire mon très cher Zep.
Ton Telstar « Tango » Jabulani.
Franck
Consigne : Écrire un monologue intérieur.
Victoire 0-0
Le match a commencé. Je dois écrire quelque chose je dois trouver une idée ça doit être bien original.Un sonnet. Ça fait longtemps. C'est vieillot mais drôle à faire.
12 pieds, de l'alexandrin. Je ne me souviens plus de l'alternance des rimes. Commence, tu verras. Je me fais passer pour quelqu'un qui n'aime pas le foot.
Quand je regarde le foot, je m'ennuie un peu,
Où est "le drogué" ? Kanté, il est rayonnant.
Le drogué joue en blanc et je soutiens les Bleus
Nous faisons neuf passes sur dix dans notre camp.
Je tiens le premier quatrain.
On marque un but, il paraît qu'on est favoris...
J'ai le premier vers du deuxième quatrain.
Non, c'est nul. Nul. Et contraignant.
Les Péruviens doivent gagner. On ne doit pas perdre, pour assurer la qualification.
Le match n'est pas fou. Mais il y a de l'engagement. Ça sent le jus de cervelle. La tactique. On les attend et on se propulse une fois le ballon récupéré. Nos attaquant sont jeunes, techniques. Et beaux, sûrement.
Le plus jeune a ouvert le score. Mbappé.
Guerreiro met tout ce qu'il a dans sa frappe. Mais Lloris pare.
La mi-temps arrive vite.
Et les pubs avec elle. 100 000 euros les 30 secondes. Et de la magie. Une femme convainc son mari d'acheter une cuisine équipée. Un type chante nu au milieu de supporters Islandais coiffés de casques à cornes.
Que de belles histoires. C'est festif, joyeux, facile.
Deuxième mi-temps. Pogba est au-dessus. C'est notre 10 à nous, milieu défensif.
C'est quoi, cette peur de perdre ? On joue tous derrière, en attendant la faute, le contre.
Un Péruvien propulse une mine sur le poteau. Cela ferait un joli vers. Je tente de me recoller au sonnet. Rien ne vient.
Carrillo arrose le but français. Ses frappes vont en tribune. C'est souvent dans ces instants que l'équipe de France marque. On va leur servir un coup de grâce, digne de notre statut de faux outsider.
Mais on prend goût à être dominés.
Le commentateur vend déjà les analyses d'après-match. Lui aussi s'ennuie.
Cela devient mystique, flottant. Je fixe sur les coupes de cheveux, la forme des tribunes, qui paraissent sortir du stade, les échauffements des remplaçants, la langue des statistiques, toutes en anglais.
J'entends que le gardien péruvien se fait surnommer "Le Poulpe".
En fait, les Péruviens ne marqueront jamais, plus jamais.
Mbappé sort. S'il pouvait le faire à genoux, en pénitent, il ne s'en priverait pas. C'est vicieux, et drôle.
Sur le trottoir d'en face, un DJ prépare ses platines pour la Fête de la Musique. Les baffles laissent échapper des Boum boum. Une pensée pour les gens qui vivent là. Le charme de Paris. Le mètre carré à 10 000 euros ne garantit pas du boucan.
On déroule les statistiques. Le temps s'étire, se dilate. Il fait beau dehors. Sur un balcon, une ligne de géraniums roses paraissent fluorescentes, à la lumière du soleil.
Le sifflet de l'arbitre couine. Il y a aussi des cornes de brume, rappelant qu'on devrait s'amuser. Devant moi, la table se vide. Les gens s'excusent, sortent.
Le sonnet, c'était vraiment une mauvaise idée.
Dembélé !!!
Non...
Les supporters péruviens crient encore. Ils y croient. Il suffit d'un but. Et c'est insurmontable, pénible.
Je suis en lévitation.
Je suis Thérèse d'Avila, Maître Eckhart. Mon corps et mon esprit divorcent. Je flotte au-dessus de moi-même.
Puis l'arbitre siffle. Trois fois.
On a gagné. Mais combien ? 0-0 ?
Baptiste
Consigne : Écrire des quatrains
Des hommes, des guerriers
Des bleus, des blancs
Un coup de sifflet
Et commence l’appel du sang
Des flots de bière
Les cris des supporters
Dès que ça monte en mayonnaise
Les luttes sont étouffées par la marseillaise
L’adulation dans les gradins
La frustration des péruviens
Se meut sur le terrain
Le combat continue en vain
Margault
Chacun est à son poste : des commentateurs
Ecrivain, dessinateurs, improvisateurs
Dans cette foule d’inspiration
Chaque mémoire est en union
Tourne dans la salle un cadavre exquis
Le moment où est en éveil l’esprit
Se transforme à chaque prise par Matuidi
Du ballon qu’il nous lance dans notre nid
Un atelier rassembleur
Des fans, de littérature
Permet la fusion par l’écriture
D’idées sportives qui sur le papier se meurent
Margault
Consigne : Écrire les couleurs du match
Un coup franc bleu.
Des cheveux jaunes comme des crampons.
Et une paire de chaussures roses.
Un ballon noir et blanc sous un ciel aussi gris que le maillot du gardien péruvien.
Une pelouse verte à la couleur des yeux de Giroud.
Des tribunes rouges comme les chaussettes des bleus.
Arbitre, stadiers et poteaux de corner jaunes fluo.
Les shorts des perdants plus blancs que les lignes de touche.
Un France-Pérou multicolore.
Et la terre est bleue comme une orange.
Joy
Consigne : Écrire les interjections du match
Allez, c’est parti... Oh là... Ah... Et non, non... Ouuuuuuh. Hop, hop, hop, oh pfffff.... Rhaaa... Pénalty ? Non. Ah oui, oui, allez là ! Alleeeez.... Dommage. Oh, oh.... ouiiiii Buuuuuuut ! Ah, le ballooooon, ouuuuuh... non, trop long. Oh, le pressing, c’est bien... mais non ça passera pas. Allez, encore ! Ouiiiiii... Attention ! Ca va, c’est au dessus... La fraaaaappe... et non. Mais bon, allez, la France est qualifiée pour les huitièmes.
Joy