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Assez parlé, épisode 9 avec Constance Joly-Girard

Assez parlé, le podcast qui donne envie d'écrire de l'école Les Mots

 

Épisode 9 - Quand l'écriture s'installe dans notre vie avec Constance Joly-Girard


Description

Constance Joly-Girard nous montre que l’écriture peut s’installer dans notre vie, sans effort de discipline ni cérémonie et trouver une place qu’on n’a jamais cherché à lui assigner.


Avec Constance Joly-Girard, le Podcast “Assez parlé” ouvre une nouveau cycle d’épisodes consacrés à celles et ceux, de plus en plus nombreux.se.s, que nous appelons les “Mots publiés" à savoir les participants d’ateliers qui sont allés au bout d’un manuscrit et qui ont réussi le faire paraître (ce qui, bien-sûr, est la plus belle récompense pour notre école !) ! Fidèle du 4 rue Dante, Constance a été particulièrement marquée par un atelier d’écriture, animé par l’écrivain Arnaud Delalande, dont elle parle dans ce podcast et pendant lequel elle a écrit les prémices de son premier roman. Paru peu de temps plus tard aux éditions Flammarion, sous le titre “Le matin est un tigre” (signé Constance Joly), ce livre a transformé une “éditrice-qui-n’écrira-jamais” en écrivaine-qui-ne-s’arrête-jamais.


Dans cet épisode, elle raconte le jour où une jolie première phrase lui est venue à l’esprit, à un moment où elle traversait une épreuve extrêmement difficile, et où, pour la première fois en 49 ans de vie, elle a ressenti le besoin de savoir ce qui se cachait derrière, notamment en poussant la porte de l'école Les Mots. Elle revient sur son enfance, cherche à comprendre ce qui, à l’époque, lui donnait tellement envie d’écrire tout en la freinant, à commencer par le regard mi-encourageant mi-intimidant de ses parents. Elle raconte tous les moments infimes et insaisissables qui ont jalonné la construction, lente, prudente et courageuse à la fois, de son tout premier récit et de sa vocation de romancière. 


En janvier 2021, elle a publié « Over the Rainbow » son deuxième roman chez Flammarion sur l’histoire de son père qui a tardivement découvert son homosexualité et qui a fait partie des premières victimes du Sida. Sincère, émouvante et poétique, Constance Joly-Girard nous montre que l’écriture peut s’installer dans notre vie, sans effort de discipline ni cérémonie et trouver une place qu’on n’a jamais cherché à lui assigner.  

 

Extrait lu dans l’épisode

« Le matin est un tigre » de Constance Joly (pages 39-40)

 

Crédits

Création et réalisation : Lauren Malka. 

Musique : “Machine à écrire” Paroles : Louise Pressager / Musique Ferdinand 

Identité graphique : Nina Jovanovic.

Direction générale : Elise Nebout. 

 

Transcription textuelle de l'épisode 20 du podcast Assez Parlé pour le rendre accessible aux personnes sourdes ou malentendantes.


Lauren Malka (L.M.) :

Vous écoutez Assez Parlé, le podcast de l'École Les Mots qui laisse les écrivains parler et qui donne envie d'écrire. Les Mots, c'est une école d'écriture qui a été fondée en 2017 par Élise Nebout et Alexandre Lacroix sur une idée simple mais innovante, écrire s'apprend. Des écrivains majeurs de la scène littéraire actuelle y accompagnent tous ceux qui veulent un cadre pour travailler leur plume et aboutir leurs manuscrits. Aujourd'hui, je rencontre Constance Joly-Girard et j'inaugure avec elle un nouveau cycle pour le podcast Assez parlé où j'interrogerai non plus seulement ceux qui animent les ateliers, mais aussi ceux qui y participent et qui ont réussi à publier leurs premiers livres. Constance Joly-Girard a suivi plusieurs ateliers d'écriture à l'école Les Mots, dont un qui l'a beaucoup marqué et pendant lequel elle a écrit les prémisses de son premier roman. Celui-ci est paru en janvier 2019 sous le titre Le matin est un tigre aux éditions Flammarion. Éditrice pendant plus de 20 ans, coach et agent littéraire indépendante depuis huit ans, Constance avait jusque-là toujours fui sa propre plume, pensant que c'était seulement celle des autres qui l'intéressait. Aujourd'hui encore, elle le dit et le répète, elle n'écrit jamais.


Quelques mots pour me présenter. Je m'appelle Lauren Malka, je suis journaliste, autrice indépendante et passionnée par les questions que l'on ne pose pas assez aux écrivains, à savoir comment écrivent-ils ? Dans quelle position ? Dans quel recoin de leur maison, de leurs souvenirs et de leur imagination.


Quand on arrive chez Constance Joly-Girard, on est tout de suite impressionné par les lieux. Cette grande maison fleurie, spacieuse, surmontée d'un bureau d'écriture niché au grenier, ressemble au lieu parfait pour écrire. Oui, mais voilà, Constance fuit les postures d'écrivain, les postures en général, d'ailleurs. Petite anecdote, quand je lui demande si je peux faire teinter la sonnette de sa maison, que j'imagine tout aussi charmante que les lieux, elle m'annonce tout de suite la couleur.


Constance Joly-Girard (C. J.-G.) :

Le joli petit bruit argentin, je pense, c'est plutôt un vieux /Bzzzz/


L.M. :

Tout est dit. Derrière son joli nom et sa maison si romantique, Constance cache un goût pour ceux qui ne tourne pas rond. Une poésie, une autodérision qui font d'ailleurs le sel de son roman. Comment cette éditrice, qui refusait catégoriquement d'écrire, en est- t-elle arrivée à pousser la porte de l'école Les Mots, pour suivre un atelier d'écriture, puis deux, puis trois, jusqu'à devenir une fidèle de la maison et jusqu'à publier bientôt son deuxième roman ?

Assez parlé. Écoutons Constance Joly-Girard nous raconter comment elle a joué à cache-cache avec l'écriture toute une partie de sa vie et comment cette même écriture, qui n'arrêtait pas de frapper à sa porte, a fini par rentrer par la fenêtre. Ici même, dans cette maison.


C. J.-G. :

On est chez moi, là. On est dans la maison à Fontenay-sous-Bois, une petite maison dans laquelle je vis depuis dix ans avec mes enfants et mon mari. Et quand j'écris, ce qui n'est donc pas très souvent, c'est plutôt ici, mais pas dans un lieu très défini. Là, on est à la table de la salle à manger. Ça m'est déjà arrivé d'écrire ici, mais ça m'est plutôt arrivé d'écrire sur le petit bout de canapé, là, le tout petit bureau là-bas, ici, sur mon lit. J'ai un petit bureau tout là-haut, dans lequel je ne vais pas très souvent, mais tout ce qui est un peu solennel et cérémonial, tout ce qui serait un peu rituel, du domaine du rituel… C'est l'anti-rituel pour moi, c'est l'anti-horaire, c'est l'anti-lieu. En fait, le truc qui a très bien marché avec moi, c'est le foot, c'est-à-dire que tout le monde regarde du foot ici, et moi, comme ça ne m’enthousiasme pas, j'écris à côté. La rumeur, le bruit des autres, ça ne me dérange pas en tout cas.


L.M. :

Même ça vous aide ?


C. J.-G. :

Peut-être. Peut- être que ça m'aide. J'ai écrit en tout cas davantage avec des gens à côté que seule dans le recueillement avec une porte fermée derrière soi. Je n'ai jamais dit à quiconque j'écris, prière de ne pas me déranger, ou un truc comme ça. Non, ça, ce n'est pas possible.


L.M. :

Et pourquoi ?


C. J.-G. :

Dans mes journées, je n'ai pas de temps pour l'écriture. Je passe mes journées à écrire, mais à écrire des notes de lecture pour les autres, à lire les autres et à écrire pour les autres. Du coup, c'est une question de temps. Et puis, je pense que ça m'intimiderait, en fait, vraiment d'avoir ce cérémonial.


L.M. :

Vous l'aurez compris, Constance n'écrit jamais, mais en fait, elle écrit tout le temps. Parfois dans sa tête, en faisant ses courses, parfois dans son bain, sur un bout de carnet, de canapé, entre deux coups d'envoi ou pendant les prolongations, elle écrit autant qu'elle vit. Il y a simplement toute une période de sa vie où elle ne se l'avouait pas.


C. J.-G. :

Je n'avais pas du tout envie d'écrire. Pour moi, ça m'agaçait même quand on me disait « Quand est-ce que tu écriras ? » Parce que moi, je fais écrire les autres. Comme j'ai été de l'autre côté, comme éditrice pendant très longtemps, on me demandait toujours « Quand est-ce que tu vas écrire ? » et je disais à tout le monde que c'était vraiment si différent d'éditer, de faire écrire et d'écrire, et que je n’avais rien à faire. Ce n’était pas ma place. Ce n’était pas la place que j'avais envie d'avoir. Et par exemple, pourquoi je n’ai pas écrit pendant tout un moment, pendant tout un moment très long ? C'est parce que j'avais très peur de la première phrase. Je me disais « Comment on peut écrire une première phrase et décider que c'est une phrase qui vaut le coup ? » Finalement, quand j'ai trouvé une première phrase un jour, quand, au bout de 49 ans de vie, une première phrase m'est tombée dessus que j'aimais bien, ça a tout libéré, ça a tout détricoté cette pelote, comme ça.


L.M. :

On rembobine la pelote, car ce que Constance ne dit pas, c'est qu'avant l'âge de 49 ans, elle en avait écrit des premières phrases. Sa passion pour l'écriture ne date pas d'hier. Elle est apparue timidement, mais sûrement en même temps que sa passion pour la lecture lorsqu'elle était petite fille.


C. J.-G. :

Une de mes premières émotions de lecture, c'était un livre qu'on m'avait offert, que mon oncle m'avait offert, Fifi Brindacier. Elle vivait seule, elle était très autonome, très forte, très indépendante et c'était donc tout l'inverse de moi. J'ai trouvé ça génial de vivre à neuf ans toute seule dans une maison envahie par les herbes, en disant qu'elle se débrouillera toujours. Moi, j'étais enfant unique et j'étais ultra discrète. Je lisais beaucoup. Ce que j'aimais, c'était les toutes petites choses, les minuscules services à thé, les petits soupiraux dans lesquels se cacher dans la cour de l'école. Je me construisais des cabanes sous des bureaux. J'étais un peu miniature comme ça. J'étais un peu discrète. Je pense que j'avais des parents ultras qui prenaient beaucoup de place. Ils avaient des tableaux, ils faisaient péter de la musique à fond. Il y avait toujours des tablées hyper joyeuses, hyper fournies, tout le monde avait des avis très tranchés. Moi, j'étais très en retrait et j'observais beaucoup, beaucoup, tout ça depuis une petite fenêtre. J'étais dans mon petit monde miniature fait de petits rêves, de petits bouts de machin et je m'inventais des petites cabanes et en réfléchissant aussi à tout ça, je me dis que mon écriture, c'est ma petite cabane. C'est ma façon de me faire une cabane où je me sentirais bien. Je pense que j'écris... C'est ce que je découvre en écrivant qui me plaît le plus, c'est le fait de collecter des petits bouts de bois, de vermisseaux, de machin comme quand on fait un nid, une cabane, et qu'on y habite. Moi, c'est ça que j'aime.


L.M. :

Vous le faisiez étant petite, d'écrire ?


C. J.-G. :

Oui, je le faisais quand j'étais petite, d'écrire. Je n'écrivais pas des tonnes de trucs, mais j'ai toujours eu un rapport à l'écriture. Par exemple, quand j'avais un problème, j'écrivais, ça se métamorphosait en poème. C'est- à- dire, je me souviens que ma mère téléphonait tout le temps et que j'en avais fait un sonnet. Une invasion de mites, paf, un sonnet. Parce qu'en fait, après avoir javellisé, sorti toutes mes casseroles, etc, j'étais impuissante devant ce problème de mites. Et je me souviens qu'en fait, la joie, elle se transformait en mots. Je me souviens d'un truc que j'ai écrit à 8 ans. Ça s'appelait Les Contes de la Lune mauve, très calqué sur, je pense, Les Contes de la rue Broca. J'avais fait une lecture à ma mère qui s'était foutue de moi parce qu'à un moment, il y avait une sorcière et j'avais mis la sorcière, entre parenthèses, "car c'en était une". Et c'était un gimmick, en fait, vraiment que j'avais reproduit. Ça m'avait un peu vexée. J'avais arrêté d'écrire parce que je sentais que j'étais lue, déjà. J'étais dans une famille où peut-être on attendait que j'écrive. J'étais lue et j'étais jugée.


Pour moi, mes parents étaient investis du bon goût, du sceau du bon goût. Il y avait l'Opéra, il y avait des tableaux de saintes martyrisées. Il y avait des grandes peintures chez moi. C'était le monde des adultes et moi, je ne voyais pas bien. J'avais du mal à imposer ma marque là-dedans. Du coup, je me suis occupée de l'écriture des autres. Et puis, à un moment, il a fallu que j'écrive quand même.


L.M. :

C'est-à-dire, il a fallu ?


C. J.-G. :

À un moment, j'ai... Le Matin est un tigre, c'est quand même une histoire personnelle aussi. Donc, ce n'est pas du tout un mystère. Ma fille a été malade. J'ai eu une adolescence en très grande souffrance comme ça, que j'ai accompagnée, qu'on a accompagnée pendant des années. Elle a été hospitalisée pendant très, très, longtemps et c'était important pour moi de retrouver des sensations que j'avais, parce que j'avais l'impression d'être à moitié morte dans toutes ces années où j'allais d'hôpitaux en hôpitaux. C'était un quotidien assez ingrat, assez moche et en même temps, j'étais super vivante. Je me suis aperçue qu'il y avait des choses très très nettes qui s'étaient imprimées dans mon esprit et en même temps très ténues vraiment, des manifestations absolument partout et là où j'ai beaucoup écrit, c'est dans ma baignoire parce qu'il y a un carrelage, je peux vous le montrer, Lauren, tout à l'heure ?


L.M. :

Oui.


C. J.-G. :

Il y a un carrelage assez laid, mais je ne pourrais jamais le changer. Il y a des figures, je vois des tas de trucs dedans. Je vois des tas de figures quand il y a une attention flottante comme celle qu'on a dans un bain. Des ombres chinoises de branche sur un mur que je voyais là, sur ce mur-là. Quand il y a de la lumière, les arbres du jardin se reflètent sur le mur. Par exemple, je voyais ça et ça pouvait me faire ma journée. C'est-à-dire, je me disais « C'est beau. » N'importe quel petit signe, je le mettais dans ce sac dont je parle. À un moment, ce sac, je l'ai ouvert et il y avait plein de choses dedans et je voulais absolument en parler.


L.M. :

Dans Le matin est un tigre, Constance Joly-Girard s'inspire de cette épreuve personnelle pour raconter l'histoire d'Alma, maman d'une jeune fille qui souffre d'un mal mystérieux dont elle ne parvient pas à guérir. Par son métier de bouquiniste, Alma est amenée à feuilleter toutes sortes de livres anciens sur les sciences, les êtres vivants, la botanique, et elle croit de moins en moins aux diagnostics des médecins. Son intuition à elle, même si tout le monde lui dit que c'est impossible, c'est qu'un chardon pousse à l'intérieur de la poitrine de sa fille. Un chardon qu'elle lui aurait elle-même transmis sans le vouloir. Ce roman aborde des sujets très graves, mais de façon si sensorielle, si vivante et avec tellement de fantaisie qu'on le lit en souriant. Et on en sort avec l'idée que la poésie peut vraiment nous sauver la vie.


C. J.-G. :

Si je raconte dans l'ordre, c'est qu'un jour, j'étais ici, là, dans cette pièce, et je lisais ce livre-là, La part des nuages, de Thomas Vinau. Et ça m'avait énormément plu et j'ai voulu... J'étais dans un état d'ouverture absolue. C'est-à-dire c'est un livre qui avait ouvert, c'est marrant d'ailleurs parce que ça parle d'arbres et j'avais l'impression d'être comme un arbre, toute branche dehors, toute feuille frémissante. J'ai voulu prolonger cette émotion en faisant une phrase. La phrase qui est venue, c'est « Le matin est un tigre. » Là, je me suis dit « C'est une jolie phrase et j'ai envie de voir ce qu'il y a derrière. » J'ai commencé à écrire un chapitre, enfin un paragraphe, un deuxième paragraphe… Là, je m'étais inscrite à un atelier d'écriture à ce moment-là avec Arnaud Delalande.


L.M. :

Qu'est- ce qui vous manquait ? Pourquoi vous avez décidé de vous inscrire à un atelier d'écriture ?

 

C. J.-G. :

Il me manquait le temps, déjà, de pouvoir... Là, je savais que le mardi, de 12h à, je ne sais plus, 15h, j'écrirais. C'était déjà une décision de planning, de consacrer un peu, un petit moment et qu'est- ce qui me manquait ? Un regard. Un regard, que quelqu'un me dise si c'était chouette ou pas. Je suis arrivée à l'atelier des mots en demandant à Arnaud Delalande, enfin je ne lui ai rien demandé, mais je lui ai dit « J'ai ce premier paragraphe, je ne sais pas du tout de quoi ça parle ». Il m'a dit « C'est justement l'objectif de l'atelier de poser des questions de dramaturgie, Qui ? Que ? Quoi ? Où ? Comment ? ». C'était pas mal de me dire ça, parce que je me suis dit : Qui ? Ok, Alma. Où ? Là, à Paris. Comment ? J'ai parlé de moi en fait. Et quoi ? Finalement, ça va être ma fille. C'est ça que j'ai en besace. C'était un atelier assez extraordinaire parce qu'il y avait un groupe. Parfois, ça prend, c'est vraiment comme le soufflé. J'en ai fait plusieurs d'ailleurs avec Les Mots. Et puis là, c'était un soufflé extraordinairement vigoureux, délicieux. On s'est beaucoup aidées mutuellement avec trois autres participantes. On a été publiées toutes les trois. C'est quand même pas mal sur un atelier de 15 personnes.


L.M. :

Qui sont les deux autres ?


C. J.-G. :

Il y a Diane Schmidt, qui a écrit un petit recueil de poésie. Il y a Audrey Poux, qui a écrit un roman qui s'appelle Raymonde. Il y avait Anne Jeanvoine qui est en passe de signer un contrat, je crois. Et puis il y avait moi avec mon chardon.


L.M. :

Et vous, quand vous êtes arrivée dans l'atelier, qu'est-ce que vous aviez dans votre besace ?


C. J.-G. :

J'avais un chapitre. J'avais l'histoire des valises. J'en étais à peu près aux valises.


L.M. :

Donc les valises ?


C. J.-G. :

Donc les valises, en fait, c'est ce que se trimballe mon héroïne, Alma. Il y en a une qui dit « Je ne fais plus l'amour » et l'autre qui dit « Ma fille est malade et elle avance dans la vie avec ces poids", ces espèces de poids morts au bout des bras, là.


📖 (L.M.) lecture d'un extrait de "Le matin est un tigre" :


« Alma se demande si, avec le temps, on peut s'habituer aux poids des valises. Elle a le sentiment qu'elles se sont ajoutées à son bras comme une bouture. Certes, il lui arrive brièvement de souffler, d'oublier de les porter. Elle est parfois étonnée que Jean les lui rappelle, mais elles reviennent toujours. Et après tout, Jean aussi a les siennes. Elles semblent seulement différentes. C'est comme s'il les avait avalées bout après bout, mastiquant, patiemment pendant tous ces mois. Il a épaissi. Son si joli mari au ventre proéminent. Une montagne forte et souple, faite, Alma seule le sait, de chair, de sang et de bouts de valise mal digérés. Sa propre malle a tellement enflé, elle aussi, que par comparaison, la petite valise est devenue une banane. Alma a souvent envie de la confier à d'autres. Le problème, c'est de demander. C'est comme dans le métro, les gens ne viennent pas spontanément vous aider lorsque vous êtes encombré. Mais après quelques tentatives, elle y a renoncé. Les gens se précipitent, la soulève, grimace. « Putain, comment tu fais pour porter ce machin ? Tu es super forte. » Puis ils la reposent. Ils cherchent toujours à savoir ce qu'il y a à l'intérieur. « Je te parie que tu as emporté trop de trucs. Attends, laisse- moi voir. On va regarder. À vue de nez, tu peux virer la moitié. » Alma leur répond que non, elle a fait le tri, mais chacun a sa technique et son avis sur la question. « Mais t'en as pas marre un peu des fois ? Tu ne devrais pas t'encombrer avec ça. Pose-la, vis pour toi. » Alma ne peut pas. Elle est à elle cette valise, elle doit la porter. Elle ne va pas la laisser là. D'autres ne disent rien et la regardent douloureusement. C'est presque pire. D'autres encore semblent penser que cette malle est tombée du ciel. Alma l'a bien mérité après tout, si bien qu'elle a arrêté de songer à s'en décharger. »


C. J.-G. :

Vous savez, il y a un mot allemand, j'adorerais qu'il existe en français, qui s'appelle la « Schadenfreude ». C'est la joie malsaine qu'on a tous, de se réjouir du malheur des autres. Et j'avais l'impression que parfois, dans la rue, on m'arrêtait pour me demander des nouvelles de ma fille et que je posais mes valises et qu'il y avait cette espèce de « Schadenfreude » chez les gens aussi. Je repartais avec mes valises. Eux, ils repartaient avec une histoire et peut- être un petit réconfort. C'est comme ça que moi je vivais les choses. Ce n’était peut-être pas... C'était dans mon imaginaire. Eux, ils repartaient un peu allégés, parce que moi, j'étais très, très, très lourde et je repartais avec mes valises dans la vie. Quand j'ai trouvé cette image des valises, je me suis sentie vachement mieux de pouvoir justement leur donner une forme. C'est comme quand je faisais un poème sur ma mère qui téléphonait tout le temps et ça allait vachement mieux ou mes mites qui continuent à pulluler pendant que je les mettais sur un poème. Ça répondait à un problème.


L.M. :

À Arnaud Delalande, quand vous êtes arrivée dans son atelier, vous aviez ce premier chapitre.


C. J.-G. :

C'est ça.


L.M. :

Et qu'est-ce qui faisait que dans ce premier chapitre, il n'y avait rien du « où, qui, comment... » ?


C. J.-G. :

C'était la pure jubilation des mots et des phrases.


L.M. :

Vous ne saviez même pas que ça parlait de votre fille ?


C. J.-G. :

Non, non je n'avais pas ça en tête du tout. Non, c'était la jubilation de tout ça. J'ai fait une lecture et j'ai vu que les gens aimaient. J'ai vu aussi qu'Arnaud aimait. J'ai vu aussi que j'avais des problèmes, par exemple, au début, justement, je me disais « Comment va s'appeler cette maladie ? L'anorexie ? » Je me disais « C'est laid comme mot, c'est réducteur. » C'est quelqu'un dans l'atelier qui m'a dit « En fait, cette femme Alma, elle est bouquiniste, elle a des planches de botanique qu'elle accroche sur ses boîtes avec des noms compliqués latins. » Il y avait une personne de l'atelier qui m'a dit « Pourquoi ta maladie, tu ne l'appellerais pas d'un nom compliqué latin d'une plante ? » Genre le « Centifolia », « sempervirente », je ne sais pas quoi. J'ai dit « Super idée ! ». L'idée est venue de là, d'attribuer le nom d'une plante. C'était un atelier hyper agréable et stimulant.


L.M. :

Avec une vraie circulation de création.


C. J.-G. :

Oui, exactement, une vraie circulation. Et du coup, quand Arnaud a fini son atelier, on est resté toutes les quatre, Anne, Diane, Audrey et moi comme des orphelines, et on a poursuivi nos échanges chez l'une et l'autre, une fois par mois, avec nos romans ultra différents à se faire lire, à continuer de se faire lire les trucs, jusqu'à pratiquement la fin. Par exemple, avec Audrey. Elle connaît Le Chardon, parce que ça s'est appelé Le Chardon pendant un certain temps. Elle peut me dire "page 63, tu sais, reporte-toi à la page 63". Elle le connaît par cœur, ce roman. Et moi, je connais Raymonde par cœur aussi, parce qu'on s'est beaucoup, beaucoup lues. Et Arnaud, bien sûr. Arnaud, je lui ai fait lire aussi beaucoup.


L.M. :

C'est donc tout doucement, en allant voir ce qui se cachait derrière une jolie phrase, puis en acceptant de faire lire ses écrits à d'autres que Constance, aussi audacieuse que Fifi Brindacier, son idole d'enfance, est devenue écrivaine. En janvier 2021, elle publiera son deuxième roman, dont elle est en train de relire les épreuves avec son éditrice chez Flammarion.


C. J.-G. :

C'est l'histoire de mon père, qui était homosexuel, qui a découvert son homosexualité et qui est mort du SIDA et qui a donc vécu les années 70-80 et puis les débuts de l'épidémie et qui est mort peu de temps, finalement, avant les Trithérapie. Je me suis longtemps posée la question « Est-ce que j'ai besoin... ? »« Est-ce que les gens ont besoin de lire ? » je dirais « Est-ce que ça peut être un roman ? » c'est l'histoire de mon père. « Est-ce que ça a un intérêt quelconque ? » Et je pense que oui, parce que j'essaie simplement de me détacher de ça. J'essaye de raconter ce que c'est que cette époque- là, de vivre avec le silence, de vivre avec une maladie. J'ai fait des recherches, notamment familiales et amicales, je suis allée voir ses copains de Normal, dont des oulipiens qui sont aujourd'hui connus. C'était un ami de Pérec, mon père. J'ai été voir de ce côté- là, j'ai été voir du côté de ma famille, de son frère que je connais peu, celui qui m'avait offert Fifi Brindacier, justement. J'ai fait lire à ma mère. C'était compliqué aussi de lui faire lire parce qu'il y a beaucoup de choses que j'invente. C'est vraiment un roman, c'est-à-dire qu'il y a toute une partie du roman qui se situe où j'étais, par définition, pas là. C'est la jeunesse de mon père, son enfance. Et même quand j'étais là, il y a des choses que je ne sais pas. Comme je les décrivais, c'étaient des adultes flamboyants et joyeux et très dans leur vie, portés par leur vie et que j'observais en essayant de combler les trous. J'essaye de combler les trous, de me raconter son histoire et de le lui raconter. C'est un roman qui lui est adressé.


L.M. :

Avant de nous quitter, Constance nous a confié ses deux astuces secrètes pour écrire. La première, ouvrir un livre au hasard parmi ses auteurs préférés, si possible plutôt des poètes dont chaque métaphore serait un chef-d'œuvre.


C. J.-G. :

Pour moi, le maître de tout ça, c'est Giono. C'est des métaphores ultra inventives, hyper audacieuses. Je relis sans cesse, sans cesse, la toute première phrase de Que ma joie demeure. C'est quelque chose qui dit « La pluie avait cessé, les étoiles avaient éclaté comme de l'herbe". Les étoiles avaient éclaté comme de l'herbe. Mais je veux dire, c'est incroyable comme image. Et du coup, ça, ce sont des stimulants très, très importants pour moi. De lire, mais très précisément les autres que j'aime. Donc, il y a lui, il y en a d'autres. Il y a Giono beaucoup, mais il y en a d'autres.


L.M. :

Deuxième astuce si vous manquez d'inspiration, n'oubliez pas de faire un tour dans votre salle de bain. Il s'y passe sûrement des choses étonnantes.


C. J.-G. :

C'est ce carrelage dont je vous parlais. Vous voyez quand on est assis là et qu'on regarde là, dans ce gris-là, il y a beaucoup de visages. Il y a beaucoup de formes et il y a beaucoup de visages. Et le fait de les voir, ça me plaît. C'est que je vois des trucs qui n'existent pas et c'est ça écrire pour moi, déjà, un petit peu.


L.M. :

Pour voir des trucs qui n'existent pas, comme Constance Joly-Girard, pour savoir ce qui se cache derrière vos mots et peut-être même pour aller comme elle au bout de votre manuscrit, venez vous essayer aux ateliers d'écriture de l'École Les Mots. Rendez-vous sur le site lesmots.co ou directement sur place au 4 rue Dante. Si ce podcast vous a donné envie d'écrire ou de parler, on est là pour vous lire ou pour vous écouter. À bientôt.