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Troisième place du concours de nouvelles avec Psychologie Positive Magazine 2019

Tout d'abord, nous tenons à remercier tous les participants à ce concours. Cala a été un plaisir pour nous de découvrir vos interprétations du sujet de Belinda. Vous nous avez fait passer du rire aux larmes avec des chutes toujours plus surprenantes, et pour cela merci !

Voici la nouvelle de Mathilde Muñoz, qui est arrivée à la troisième place du concours.


Consigne : Belinda Canonne a commencé une nouvelle, à vous de la poursuivre !

« Elle s’engouffra dans l’escalier après un coup d’œil rapide sur les plaques apposées près de la porte cochère:M. Jean LOUIS, notaire, 3e étage droite.M. Victor DINA, psychanalyste, 4e étage droite.Elle gravit l’escalier sans attendre l’ascenseur et toqua à la porte de droite. L’homme qui lui ouvrit lui adressa un regard interrogateur.– Voilà, Monsieur… merci de me recevoir. C’était urgent, j’ai… j’ai une dette importante. »



VD

Elle s’engouffra dans l’escalier après un coup d’œil rapide sur les plaques apposées près de la porte cochère : M. Jean Louis, notaire, 3e étage droite M. Victor Dina, psychanalyste, 4e étage droite Elle gravit l’escalier sans attendre l’ascenseur et toqua à la porte de droite. L’homme qui lui ouvrit lui adressa un regard interrogateur. - Voilà, monsieur… merci de me recevoir. C’était urgent, j’ai… j’ai une dette importante…

L’homme la vit filer vers son bureau, sans même avoir eu le temps de dire un mot. Depuis le temps qu’il exerçait sa profession, toute sorte d’individus passait la porte de son cabinet et il s’était habitué à leurs comportements les plus divers, surprenants même, et quelquefois difficiles à réguler. Rien ne l’étonnait donc plus dans ce métier. Ils eussent pourtant mérité d’être minutieusement notés, consignés comme des échantillons d’enquêtes d’une étude sociale plus grande… Ce qu’il avait commencé à faire au tout début de sa carrière, curieux et enthousiaste. Mais la lassitude, plus forte au fil des années, l’avait conduit à abandonner. Cependant il avait pu ainsi observer puis conclure que tout comportement individuel est le reflet du penchant d’une société. Et puis, écrire, il le faisait déjà à longueur de journée, des dossiers bien alignés remplissaient les étagères, et il n’avait pas le temps, ses clients le lui grignotaient chaque jour. Tranquillement, pesamment, il alla s’assoir derrière son bureau et invita la jeune femme à faire de même. Il s’ennuyait. La chaleur qui cognait à la fenêtre et rampait sur les murs alourdissait l’air de la pièce. Sans cette visite inopportune il aurait pu rentrer chez lui, il n’avait que la rue à traverser, prendre une douche, promener son chien, manger un peu, avant de revenir se pencher sur certains dossiers ardus.

La jeune femme attendait impatiemment d’être invitée à parler. Sa jambe droite posée délicatement sur celle de gauche battait un tempo rapide.

- Vous êtes…

- Délia Copen. J’ai… j’ai une dette importante… je… je me suis posé mille questions… et j’ai… enfin, j’ai besoin… de votre aide.

Ça commence bien, se dit-il. DC, comme initiales, c’est plutôt funèbre… Et puis Copen ou Copain ? C’est curieux et amusant le nombre de personnes dont les noms patrimoniaux conjugués à celui de leur rue ou profession donnaient un double sens, pensa-t-il… Il se souvint d’une longue liste qu’il avait commencée avec toutes ces bizarreries, ou machinations (?) du hasard : Mr Bouchet rue des Abattoirs, Mme Lhange place Dussiel, Mlle Larbre avenue des Platanes, Mr Valentin impasse des Soupirs, etc. Son voisin, ornithologue de profession, M. Serhin, qui se défendait pourtant d’être superstitieux, avait déménagé parce qu’il ne supportait plus le nom de sa rue : Kage !

- Je vous écoute, dit-il de sa voix abîmée par le tabac. La jeune femme, Délia donc, s’agitait en parlant. Ses boucles rousses dansaient autour de son visage, ses mains pianotaient sur son genou une musique muette, les papillons de son chemisier voletaient au rythme de sa respiration haletante. Tout remuait en elle, même ses paroles s’entrechoquaient dans des phrases en points de suspension qui s’essoufflaient à courir derrière plusieurs pensées à la fois. Sauf le regard posé sur lui, franc, direct et un peu gêné. Les femmes sont charmantes pensa-t-il, en la caressant discrètement du regard, et tristement exigeantes… ou capricieuses ? Il eut une pensée fugace pour la sienne.

- Oui, une dette importante… dont j’ai finalement… euh, décidé de… de me défaire. Je… je voulais garder la totalité de… l’héritage… je n’avais pas noté dans les documents que… que j’ai un demi-frère. Il vit en Australie… Il n’est au courant de rien. Mais la nuit je… je ne dors plus, le remord ronge mon sommeil, ma conscience m’accuse… L’œil de Caïn, vous savez ? ne me quitte pas… ! Je suis épuisée dit-elle dans un sourire las. Pierre et moi ne nous sommes jamais bien entendus ; nos parents… euh, surtout ma mère…

Pierre Copen ou Copain. Il ne pouvait s’empêcher de revenir aux initiales des noms : PC, pauvre chouchou… Ah, et l’œil de Caïn, quelle répétition superfétatoire… Elle étalait sa culpabilité…

- Votre mère disiez-vous… - Enfin… c’est… elle avait... c’est, un peu compliqué… mais j’ai décidé de tout réparer. Cet argent est à Pierre et… P de piégé, pensa l’homme distraitement.

- Et… ? Demanda-t-il avec un réveil soudain de curiosité. Pourquoi n’allait-elle pas à sa banque ? Il ne comprenait toujours pas où elle voulait en venir.

- Eh bien je vous laisse l’enveloppe avec l’argent. Il n’en saura rien de mon vol, n’est-ce pas ? Enfin, presque vol puisque… juste un petit détournement. Vous pourrez toujours expliquer à Pierre que vous avez… révisé le dossier au vu de nouveaux éléments, ou que… enfin, je compte sur vous ! Sur votre obligation au secret professionnel, aussi bien sûr.

Délia commençait à se sentir mieux, plus détendue après qu’elle eut déposé, presque jeté, l’enveloppe en papier kraft sur le bureau, accompagnant son geste d’un long soupir libérateur. Ses cheveux ne s’agitaient plus, les papillons butinaient tranquillement, sans bouger, sur son chemisier, et ses yeux verts, plus gais maintenant le regardaient avec confiance. Ou naïveté ?

- Voilà, dit-elle en se levant, légère, délestée, refaisant surface. Je n’ai plus cette dette qui tourmentait tant mes jours et mes nuits. Au fond je ne suis pas si pleutre. Mais vous savez bien, l’argent est capable de plomber nos meilleures intentions ; en tous cas il tourneboule les têtes les mieux faites. Enfin, la mienne a repris son axe. Au revoir, monsieur, et merci, vraiment !

Elle lui adressa un sourire jovial et referma doucement la porte du cabinet derrière elle, en même temps qu’elle fermait les remords qui l’avaient conduite jusque-là.

Alors que Victor Dina descendait l’escalier pour enfin rentrer chez lui, heureux de boucler sa journée, il croisa Jean Louis sur le palier. Ils se saluèrent comme à l’accoutumé, machinalement, mollement. JL : il n’avait jamais réussi à lui trouver un sens à ses initiales… Tant pis ; ou tant mieux ? Victor tenait dans sa main l’enveloppe en papier kraft, qu’il s'apprêtait à lui remettre. Puis, sans même hésiter, il décida de la garder… Il la poussa au fond de la poche de sa veste. 88 mille euros… Tiens, un palindrome pensa-t-il. Il s’offrirait enfin cet appartement deux pièces impasse Duvaul dont il rêvait tant pour y retrouver, à l’abri des possibles regards inquisiteurs, ou malveillants, sa maîtresse et célèbre journaliste d’investigation, Marine Montalbano… MM, des initiales romantiques comme une douce invitation à l’aimer… ou une injonction ?

Victor sentait la joie le revigorer tout entier. V de victoire ! pensa-t-il machinalement, sans vouloir faire redondance à son prénom… et surtout, sans se soucier de savoir si D pouvait aussi signifier le contraire…


Matilde Muñoz