Consigne : raconter une émotion forte.
Mardi 7 avril 2015
Je traversais le jardin du Luxembourg pour rentrer chez moi quand la pluie s’est mise à tomber drue. Juste en face de la sortie de la rue d’Assas il y a un café : j’y suis entrée pour m’abriter. Je me suis installée à une petite table près de la porte, face à la rue. J’ai commandé une bière et, n’ayant sur moi ni livre, ni téléphone, me suis mise à observer les allées et venues des gens sur le trottoir.
J'ai remarqué un jeune homme assis sur le muret près de la grille de l’entrée du jardin. Il portait un chapeau de feutre noir, un sweat-shirt noir, un pantalon slim noir. Abrité par les branches d’un arbre il fumait une cigarette. J’ai senti mon rythme cardiaque s’accélérer, une sorte de panique m’a envahie. Au lieu de me lever et de me précipiter dehors, je suis restée figée, observant cette longue silhouette sombre que je reconnaissais entre mille. Ses chaussures m’ont intriguée, des chaussures noires mais molles, pas du genre de celles que tu portes, que tu portais, ou aurais porté. Pourtant c'était bien toi assis sur ce muret, toi aussi tu attendais la fin de l'averse.
Je n’avais plus aucune nouvelle de toi depuis près d’un an. D’après ton père tu vivais du côté de Montmartre. La rue d’Assas n’était pas du tout ton quartier. Que faisais-tu là devant le Luxembourg ? Mes pensées se mélangeaient. Qu’allais-je te dire ? Allais-je t’aborder en souriant comme si de rien n’était ? « Alors on se promène ? » Où allais-je m’indigner, te houspiller ? « Mais pourquoi ? »
Au fond, si tu étais là si loin de ton quartier, si loin de ton école, c’est que tu cherchais à me rencontrer. Tu culpabilisais de m’avoir imposé un tel silence et les souffrances qui vont avec. Tu avais alors imaginé ce stratagème de venir trainer dans mon quartier pour me rencontrer par hasard. Tu voulais éviter la gravité des retrouvailles, les questions. Peut-être même allais-tu remonter la rue d'Assas et sonner chez moi.
J’ai cru que tu ne bougerais pas avant la fin de l’averse et pris le temps de me préparer une contenance. Un autre garçon est arrivé, et s’est approché de toi, vous vous êtes serré la main rapidement. J’ai avalé une pastille mentholée pour masquer l’odeur de la bière, jeté de la monnaie dans la soucoupe et me suis levée précipitamment.
Un bus est passé au moment où j’allais traverser la rue pour vous rejoindre, toi et ton ami. Le temps que je contourne le bus vous étiez partis. Je n'ai même pas vu si vous étiez entrés dans le jardin ou si vous aviez pris la rue Guynemer. Tu avais à nouveau disparu.
A suivre…
Anne-Claire Davy