Tout d'abord, nous tenons à remercier tous les participants à ce concours. Cala a été un plaisir pour nous de découvrir vos interprétations du sujet de Belinda. Vous nous avez fait passer du rire aux larmes avec des chutes toujours plus surprenantes, et pour cela merci !
Voici la nouvelle de Jean-Christian Berardi qui a obtenu la première place du concours.
Consigne : Belinda Canonne a commencé une nouvelle, à vous de la poursuivre !
« Elle s’engouffra dans l’escalier après un coup d’œil rapide sur les plaques apposées près de la porte cochère:M. Jean LOUIS, notaire, 3e étage droite.M. Victor DINA, psychanalyste, 4e étage droite.Elle gravit l’escalier sans attendre l’ascenseur et toqua à la porte de droite. L’homme qui lui ouvrit lui adressa un regard interrogateur.– Voilà, Monsieur… merci de me recevoir. C’était urgent, j’ai… j’ai une dette importante. »
Les insectes
Elle s ‘engouffra dans l’escalier après un rapide coup d’oeil sur les plaques apposées près de la porte cochère.
Mr Jean Louis : notaire, 3ème étage droite
Mr Victor Dina : psychanalyste, 4ème étage droite.
Elle gravit l’escalier sans attendre l’ascenseur et toqua à la porte de droite. L’homme qui lui ouvrit lui adressa un regard interrogateur.
- Voilà, Monsieur, merci de me recevoir c’était urgent, j’ai …. J’ai une dette
importante.
- Une dette ? Mais oui bien sûr. Tout le monde a des problèmes de dette. Venez, nous allons voir ce que nous pouvons faire.
Elle pénétra dans un grand appartement sombre comme une église. Il la précéda silencieusement jusqu’à une petite pièce, lui ouvrit la porte et s’effaça. Le parquet grinça quand elle entra, dessus étaient posés deux fauteuils et un petit canapé
- Pouvez-vous patienter quelques instants ?
C’était une salle d’attente accueillante avec aux murs des appliques qui diffusaient une lumière douce, les fauteuils et le canapé lui tendaient leurs bras. Mais elle ne voulait pas s’asseoir, elle était bien trop agitée pour ça. Elle se mit à marcher de long en large pour se calmer. Deux grandes fenêtres donnaient sur le boulevard. Le soir tombait, les réverbères s’étaient allumés, jaunes comme des lumignons. Quelques flocons de neige voletaient.
Elle frissonna.
Tout s’était précipité après le coup de fil menaçant des types à qui elle devait de l’argent. Elle était partie rapidement, avait hélé un taxi, pénétré dans l’immeuble. Elle était là maintenant à attendre. Elle ralenti son pas, examina plus attentivement la pièce. Il y avait une cheminée au manteau de marbre vert sur laquelle était posé un grand miroir entouré de bois crème .Elle se regarda : les traits tirés , le teint pâle malgré le maquillage qu’elle avait appliqué à la va vite , ses longs cheveux blonds qu’elle n’avait pas tressé en natte caracolaient sur ses épaules , ses yeux gris lançaient des éclairs .A ses oreilles deux lourdes boucles en ambre soulignaient la minceur de son visage aux pommettes hautes .Elle avait encore son manteau dont elle se débarrassa en le jetant sur un fauteuil .En se retournant , elle vit qu’aux murs il y avaient des reproductions de tableaux du Caravage .C’est un bon signe pensa t’elle : il n’a jamais peint de « Christ en croix » .Elle avait toujours été attentive aux signes , aux petits détails , aux interstices dans lesquels se logent des petites choses insignifiantes. Ces choses qui lorsqu’on sait les voir et les interpréter vous met dans le camp
des vainqueurs. Mais ce camp elle l’avait quitté.
Elle émit un gémissement qui était un gémissement de colère.
Comment elle ! Juliette Orlov, reconnue dans les cercles de jeu et les casinos. Elle qui dans ces endroits était surnommée « le boa », non qu’elle étouffât ses adversaires, mais du fait de sa longue natte blonde qui s’enroulant sur son cou faisait penser à un boa. Comment avait elle pu se faire avoir ainsi ! Et cette dette, cette dette qu’elle avait contractée lors de cette interminable partie de Poker dont elle ne gardait qu’un souvenir confus, cette partie avec ces types louches. Elle avait perdu, elle se sentait coupable, coupable de s’être laissée griser par ses succès antérieurs.
Kowalski le vieil ami de sa mère qui avait été dans son enfance comme un père pour elle. Kowalski qui était, elle le savait aussi, un avocat un peu véreux. Kowalski qui avait réglé la succession de sa mère dont elle avait hérité l’appartement. Kowalski avait été clair quand elle lui avait téléphoné.
-Il faut vendre l’appartement, Juliette, c’est le seul moyen de rassembler une telle somme. Fais ça vite. Je les connais ces types. Des méchants, pas comme les pharmaciens en goguette, ou les retraités que tu plumes dans tes cercles ou dans les petits casinos de province et qui en redemandent. Ces pigeons que tu embobines avec ta natte, ta jolie frimousse et tes yeux gris, et qui disent après t’avoir filé tous leurs jetons – ça a été un plaisir de jouer avec vous mademoiselle Juliette. Quand vous gagnez vos yeux gris prennent l’éclat du diamant. Là ce n’est pas la même soupe. Vois un notaire, vite. Ils ne vont pas te lâcher.
Elle s’assit sur un des fauteuils - il a raison Kowalski, il faut vendre. Sinon on risque de retrouver mon cadavre, un matin blême, sur une plage comme lui, pensa t’elle en regardant les reproductions de tableaux du Caravage.
Elle s’assit sur le canapé, elle avait une terrible envie de fumer.
-Non pas maintenant, pas ici, je ne suis pas dans un tripot. Tout à l’heure, dehors, après mon entrevue avec le notaire.
Elle se détendit, dehors la neige tombait plus drue. Elle s’assoupit et dans son demi sommeil elle pensa : - Voilà j’attends un type qui va tout faire pour que je me dépouille !
Elle en était là quand l’homme qui lui avait ouvert la porte vint la chercher. Elle se réveilla.
- Excusez-moi de vous avoir fait attendre, j’avais quelqu’un à voir avant vous. Une affaire de famille à régler en quelque sorte. Venez, vous allez me parler de cette dette si importante que vous venez comme cela à l’improviste
Elle le regarda plus attentivement. Un homme mince entre deux âges, les cheveux un peu longs grisonnants rejetés en arrière, vêtu d’un pantalon de flanelle gris et d’une chemise blanche. Il la précéda jusqu’à son bureau, s’assit, lui indiqua un fauteuil profond comme un vallon.
-Parlez-moi de cette dette. De combien est-elle ?
-300 000 euros
-Et vous l’avez contracté comment ?
- Aux cartes, au Poker. Je suis une joueuse. C’est une dette de jeu
-Dites donc 300 000 euros c’est beaucoup
-Oui c’est pas mal. Mais j’ai déjà vu des tables beaucoup plus élevées. Peu importe, Il faut que je la paye. Pour cela il va falloir que je vende l’appartement dont j’ai hérité de ma mère. Je n’ai pas le choix
- On a toujours le choix
-Vous plaisantez, vous ne connaissez pas le milieu.
- En effet pas très bien. Et vous jouez depuis combien de temps ?
Juliette commençait par être énervée par ces questions. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire qu’elle joue au poker, ou à d’autres choses, et depuis combien de temps. Elle était là pour qu’il s’occupe de la vente de l’appartement, qu’il lui donne l’argent ! Pas pour lui raconter sa vie.
Mais le fauteuil profond, la voix agréable qui l’interrogeait, son ton ferme sans être inquisiteur, le bureau en bois clair encombré de petites statuettes, le type derrière qui l’écoutait, la neige qu’elle voyait voleter par la fenêtre, la lumière jaune des réverbères qui donnait à la neige un aspect féérique. Elle avait l’impression de retomber en enfance. Comme dans un conte. Avec la neige, l’ogre gentil, le traineau ses rennes et les clochettes sur le harnais qui tintinnabulent….
L’homme derrière le bureau, immobile, attendait qu’elle parle. Elle ne percevait aucun « interstice », il était là simplement immobile à attendre. Elle parla après avoir pris une profonde inspiration. Elle parla, avec un ton légèrement au-dessus de son ton habituel, comme le font les mères lorsqu’elles parlent à leur bébé.
-Jadis lorsque j’étais une enfant, après que mon père nous eut abandonné ma mère et moi, pour passer le temps nous jouions aux cartes avec les copines de ma mère. Au jeu des Sept Familles surtout. Après un tour d’annonce je savais où étaient, par exemple, le papa ours ou le bébé tigre. Ma mère me disait – on dirait que tu vois à travers les cartes Juliette. Mais non je ne voyais pas à travers les cartes. J’avais l’impression de me glisser dans de minuscules failles qui me permettaient de sentir le jeu, de prévoir le jeu de l’adversaire. C’est ce que j’appelle maintenant « les interstices », et ce sont dans les interstices que sont les choses insignifiantes qui sont en fait tellement importantes. Voilà, ça a continué, après les Sept Familles les autres jeux et puis le Poker. Le Poker régulier à cinq cartes. Voilà. Mais je vous ennuie avec ces détails.
- Mais non, mais non. Mais pourquoi donc jouez-vous ?
De nouveau Juliette était excédée, de quoi se mêlait ‘il ?
Mais toujours le fauteuil profond, le ton rassurant… Elle continua.
- Pour retrouver les insectes
- Les insectes ?
- Peut-être cela va vous paraitre étrange mais ma mère plutôt que de me lire une histoire le soir pour que vienne le sommeil, ma mère me faisait admirer ses grosses broches en ambre brun. Dans certaines il y avait des inclusions d’insectes qu’il fallait que je trouve. Il fallait bien se concentrer, mettre la pierre sous un certain angle de lumière et on voyait apparaitre ces reliquats d’un monde disparu emprisonné dans l’ambre il y a des milliers d’années. Trouver ces inclusions était « mon histoire » d’avant sommeil. Et bien ! Quand je joue, les joueurs qui me font face sous le halo de la lampe centrale sont comme d’opaques pierres d’ambre dans lesquelles je recherche « ces insectes », ces fragments disparus de leur histoire dont ils ne sont pas conscients mais que moi je vois. Ainsi je sais quand ils mentent, quand ils bluffent, quand ils disent la vérité. Par exemple par leur façon de bouger, de se toucher le lobe de l’oreille, de regarder leur jeu…. C’est très utile tout ça au Poker. Et quand je vois « les insectes » c’est un sentiment merveilleux, une plénitude. Mais « les insectes » depuis quelques temps je ne les vois plus, comme s’ils m’avaient abandonnée. Comme ma mère m’a abandonnée quand elle est morte. Mais je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. C’est bien la première fois que j’en parle. Enfin, cela n’a rien à voir avec mon problème de dette et la vente de mon appartement
- Oui, oui peut être, écoutez il se fait tard, pourriez-vous revenir demain pour que nous en parlions. Demain 18 heures ? Une fois dehors, la neige tombait toujours parsemant de paillettes ses cheveux blonds. Une neige collante, lourde, précoce pour la saison. Elle s’immobilisa devant l’immeuble faisant bien attention à ne pas glisser. Elle alluma un cigarette - Curieux notaire pensait elle qu’est ce qu’il avait besoin de me faire parler ainsi ? Mais elle se sentait bien après cette entrevue, elle n’était plus en colère. Elle alluma une cigarette en hélant un taxi. Elle lui donna l’adresse de Kowalsy. Il fallait qu’elle lui parle. Elle le trouva comme d’habitude dans son fauteuil, son chat sur les genoux - Je ne prends jamais de notes avait ‘il l’habitude de dire, c’est mon chat qui se souvient de tout.
-Alors Juliette tu as vu le notaire, tu vends quand ?
-Ecoute Kowalski, je ne sais pas si je vais vendre. Tu connais les types à qui je dois cette masse de fric ! Je peux te demander un service ? Appelle-les, dis-leur que je veux rejouer ma dette, avec en plus dans le pot l’appartement si je perds. S’il te plait fais ça pour moi et pour ma mère. A propos est ce que tu as toujours les grosses broches en ambre brun ?
-Tu les veux prends les ! Elles sont dans le tiroir de mon bureau. Juliette prit les broches, les inclina sous la lumière de la lampe de bureau au verre opalescent. Elle se concentra et les vit. Ils étaient là les insectes, vestiges du temps.
-Juliette, je les ai eus ils sont d’accord. Rendez-vous ce soir au « Celtique », dans l’arrière salle. Poker régulier, cinq cartes, relances illimitées. Je serai là. Avec le chat, parce que vraiment il faut qu’il voie ça et que ça reste gravé dans sa mémoire.
Juliette était détendue maintenant. Elle tressa sa natte, ses yeux gris avaient pris l’éclat du diamant….
Victor Dina, le soir en se couchant et prenant son épouse entre ses bras :
-Aujourd’hui j’ai vu un curieux cas. Une joueuse de Poker avec un problème de dette de jeu et de vente d’appartement. D’insectes aussi qu’il falloir qu’on approfondisse ensemble. Pour la vente de son appartement je vais lui conseiller le notaire du 3 -ème, celui qui a réglé la succession de ta mère. Il la serrait trop fort, elle se dégagea, elle commençait à avoir des fourmis dans les bras.
Jean-Christian Berardi