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Journal intime

Consigne : à l’aide d’un journal, présentez-vous ou montrez ce que vous avez envie de montrer aux personnes qui sont là autour de la table.

Mercredi 1er février

18h41. Une salle de l’atelier « Les Mots »

Je regarde ma montre. Il est 17h30. C’est l’heure. J’avais annoncé que désormais le mercredi je partirais à 17h30 pétantes. Alors, sur mon ordinateur, je ferme tous mes dossiers et ma boîte mail. Je range mes stylos. Je jette un coup d’œil à ma to-do list : quelques lignes rayées, d’autres ajoutées, c’est sans fin mais chaque jour ça me guide.

J’éteins l’écran. Mes collègues bossent toujours. En silence. On ne se parle pas beaucoup, l’ambiance est très studieuse dans cette maison d’édition, bien plus que dans la précédente. Mais on rigole moins. Difficile de tout avoir.

J’enfile mon manteau. J’attrape mon sac de sport et me souviens du footing de ce midi au Jardin du Luxembourg. Séance compliquée, à cause de la fatigue des derniers jours.

Je dis au revoir à M. et C. et leur souhaite une bonne soirée. C. sait où je vais. Je lui en ai parlé. C’est même elle qui m’a convaincu que je devais le faire, que j’en avais le droit et, sûrement, le besoin. On se parle parfois de nos envies secrètes, ce qui nous anime vraiment, ce qui occuperait notre monde s’il n’y avait pas le boulot.

C. sait que j’ai mal au ventre, que j’angoisse à l’idée de me rendre là-bas. Nous en avons parlé dans la journée. « Qu’est-ce que tu risques ? » m’avait-elle dit plus tôt. Je n’avais rien répondu. Tout et rien à la fois. S’exposer. Se mettre à nu, à découvert, ça fait vraiment peur. Davantage en tout cas que d’écrire tranquillement le soir quelques lignes à son bureau. Pour soi et une ridicule postérité.

Je descends les escaliers et sors. Il ne fait pas nuit. C’est la première réflexion que je me fais. Les jours rallongent enfin. Mais ça fait longtemps que je ne suis pas parti si tôt. Sans savoir exactement pourquoi, ce jour et cette lumière toujours présents m’encouragent, m’aident et me poussent à accélérer le pas vers la bouche de métro.

Deux lignes à prendre, la 7 puis la 10. Je mets mon casque, m’isole du monde et ouvre mon livre The girls d’Emma Cline.


J’arrive devant l’atelier un peu en avance. Je passe devant sans m’arrêter. Je descends la rue jusqu’à Notre Dame. J’essaie de me resituer dans Paris. Je tente également de savoir où j’en suis. Je m’interroge. Ai-je raison d’être là ? Ai-je vraiment besoin de sacrifier du temps sur ma vie de famille pour ça ? Et c’est quoi, « ça » ? Une passion ? Un loisir ? Un passe-temps ? Ou le fondement même de mon existence ?

Je fais demi-tour. Je vois des touristes asiatiques qui attendent devant leur guide. Il a un micro et va débuter son explication. Une femme du groupe est accroupie avec son Iphone tendu devant elle. Je crois qu’elle se prend en photo mais en passant, je remarque qu’elle prend en fait l’avant d’un scooter. Je me demande ce qu’elle a vu là-dedans, que je ne vois pas, ce qui lui est passé par la tête pour se dire « tiens, ce serait une belle photo de Paris à montrer quand je rentrerai ». Et en même temps, quand on est touriste, tout ce qu’on voit est nouveau, a un sens, évoque quelque chose.


Devant l’atelier, il y a une palette et des restes de plastique. Le lieu est quasiment fini mais il semble y avoir encore des petits détails à régler. C’est encore en chantier, comme moi en arrivant ici, me dis-je.

Je repense à l’inauguration, la semaine dernière. À la manière atroce dont je l’avais vécue. Je m’étais senti seul, tellement pas à ma place. Il y avait beaucoup de monde, dans un espace assez petit finalement. Je ne connaissais personne. Surtout, je ne me sentais pas capable d’aller vers les gens, d’engager une conversation. J’étais tétanisé. On me bousculait, on m’évitait. Je fuyais la foule, cherchais des espaces vides. J’avais croisé Alice Zeniter dont j’ai lu deux romans. J’aurais pu lui tendre la main pour lui dire ça, juste ces quelques mots : « j’ai lu deux romans de vous ». Ça ne mangeait pas de pain. Mais à peine m’étais-je imaginé les lui dire vraiment que je m’étais trouvé creux et inintéressant. Alors, quand elle était allée fumer sa cigarette roulée, seule, dehors, et que moi aussi, également à l’extérieur pour retrouver un peu de calme et de fraicheur je l’avais seulement regardée fumer de loin, incapable de bouger. Je m’en étais voulu d’être venu jusque là pour ne pas prononcer un mot de la soirée, à part pour dire qui j’étais à l’entrée et au revoir en partant. J’avais vu les lieux, croisé des visages d’écrivains qui ne m’étaient pas inconnus, entendu des conversations, je m’étais imprégné de tout et quand même, malgré mon malaise, ça m’avait rassuré.


J’entre dans l’atelier. Une jeune fille, brune, habillée de noir, dont j’ai croisé la silhouette la semaine dernière, me sourit. Je lui dis que je suis là pour un atelier, celui de Sophie Fee… Elle ne me laisse pas finir et me corrige gentiment : « Sonia. C’est Sonia. »

Bravo. Bien joué. Les premiers mots que je prononce ici et je me plante. Plusieurs personnes sont déjà dans la salle. Je reconnais Sonia. Je l’avais vue elle aussi lors de l’inauguration. J’avais eu envie de m’approcher pour lui dire que je m’étais inscrit à son atelier. Et puis je m’étais dit : « À quoi bon ? ».